RÉFORME WOERTH: INJUSTE SOCIALEMENT ET INEFFICACE FINANCIÈREMENT

Publié le par FO Nogent

Le 16 juin, après plusieurs mois de fuites distillées au compte-gouttes, le gouvernement a rendu public son projet. Qui paiera? Les salariés pour 85% et les riches pour seulement 15%. Et rien n’est résolu pour l’avenir.

 

1 - Le report de l’âge de la retraite touche-t-il tout le monde?
Oui

Le projet gouvernemental prévoit que l’âge légal auquel il est possible de prendre sa retraite passera de 60 à 62 ans en 2018. Ce relèvement se ferait à raison de quatre mois par an selon l’année de naissance. Concrètement, tous les salariés nés après le 1er juillet 1951 n’auraient plus droit à la retraite à 60 ans et tous ceux nés après le 1er janvier 1956 devraient attendre d’avoir atteint 62 ans, quel que soit le nombre de trimestres cotisés. Car une telle mesure frappe avant tout ceux qui ont commencé à travailler à 18 ou 19 ans et qui, une fois atteint 60 ans, ont cotisé suffisamment de trimestres pour prendre leur retraite à taux plein. À l’avenir, ils seront obligés de travailler deux ans de plus et auront cotisé 42, voire 43 ans.

Mais le gouvernement veut également reporter de 65 à 67 ans l’âge auquel il est possible de partir à taux plein, indépendamment du nombre de trimestres. Particulièrement injuste, cette disposition pénalisera tous les salariés qui ne peuvent prendre leur retraite à 60 ans et qui sont contraints d’atteindre 65 ans car ils n’ont pas cotisé le nombre de trimestres requis.
Précision: la majeure partie du public concerné est constituée de femmes qui ont connu une trajectoire professionnelle discontinue.
Plus généralement, tous ceux qui ont des carrières incomplètes subiront la mesure, notamment les jeunes, qui ont de plus en plus de difficultés à trouver un emploi, et les salariés qui auront connu des périodes de chômage non indemnisées (qui ne comptent pas pour le calcul des trimestres).
Deuxième précision: l’augmentation de deux ans s’appliquera à l’ensemble des régimes de retraite de base, du privé comme de la fonction publique. Même les régimes spéciaux verront leur âge de départ en retraite retardé de deux ans à partir de 2017.

2 - La durée de cotisation va-t-elle augmenter?
Oui

Le projet gouvernemental prévoit aussi un allongement de la durée de cotisation sur la base de la réforme Fillon de 2003. Celle-ci sera portée à 41 ans en 2012, 41 ans et un trimestre en 2013 et 41 ans et demi en 2020. Si l’allongement de la durée de cotisation concerne, par définition, tous les salariés, il impactera plus durement ceux qui ont déjà du mal à cotiser 40 ans (voir ci-dessous). En soi, l’augmentation de la durée de cotisation est déjà une remise en cause indirecte de la retraite à 60 ans. Couplée avec une augmentation de deux ans, comme le propose Éric Woerth, c’est soumettre les travailleurs à une double peine.


3 - Les femmes seront-elles plus pénalisées?
Oui

Certes, les mesures gouvernementales s’appliquent indistinctement aux hommes comme aux femmes. Mais certaines d’entre elles vont frapper plus durement les femmes (passage de 65 à 67 ans, augmentation de la durée de cotisation) car celles-ci sont plus souvent victimes de carrières incomplètes. À cela s’ajoutent également les discriminations dont elles sont victimes dans le monde du travail: précarité, temps partiel subi, salaires inférieurs de 20% à celui des hommes à poste équivalent, etc.

Déjà, en leur temps, les réformes Balladur (1993) et Fillon (2003) avaient pénalisé les femmes, notamment en prenant comme base de calcul les 25 meilleures années.
Loin de corriger les inégalités qui frappent les femmes au long de leur vie professionnelle, le plan Woerth vient au contraire introduire des mécanismes qui valident et aggravent ces discriminations.

4 - Les fonctionnaires seront-ils plus touchés que les salariés du privé?
Oui

Pour les fonctionnaires, le plan Woerth constitue une attaque d’autant plus injuste qu’il prévoit à leur encontre des mesures spécifiques éminemment douloureuses. Ainsi, en plus du relèvement de l’âge et de l’augmentation de la durée de cotisation, le taux de cotisation passera, en dix ans, de 7,85 % à 10,55 %. Cette mesure se traduira par une nouvelle perte de pouvoir d’achat des agents publics, qui viendra s’ajouter aux pertes accumulées depuis une décennie. Le gouvernement ayant déjà annoncé qu’il n’entendait pas compenser cette augmentation de la cotisation vieillesse par une revalorisation indiciaire, il s’agit donc d’une baisse du salaire des fonctionnaires qui ressemble à celles qui se mettent en place dans de nombreux pays européens via les plans de rigueur.

De même, le projet gouvernemental prévoit de supprimer le dispositif de départ anticipé sans condition d’âge pour les parents de trois enfants ayant quinze ans de service, une mesure qui bénéficiait surtout aux femmes fonctionnaires.
De plus, sous couvert d’équité comme il se doit, le minimum garanti de pension est aligné sur les critères des salariés du privé: les fonctionnaires devront donc justifier de tous leurs trimestres ou seront contraints d’attendre 67 ans pour en bénéficier.
Enfin, les 900 000 fonctionnaires qui relèvent des catégories actives –police nationale, gardiens de prison, pompiers, douaniers ...– verront également leur âge légal de départ en retraite reculer de deux ans. En clair, les agents de ces secteurs où les conditions de travail sont particulièrement difficiles (notamment en matière d’horaires) devront rester dans leur emploi jusqu’à 52 ou 57 ans selon les cas. Même les infirmières qui relèvent de la catégorie B, la moins payée, ainsi que toutes celles qui obtiendront leur diplôme à partir de 2012, devront travailler deux ans de plus. Pour la fonction publique, l’ensemble de ces mesures spécifiques représente 40 milliards d’euros d’économies réalisées sur le dos des agents. Une nouvelle illustration du fameux «travailler plus pour gagner moins».

5 - La pénibilité sera-t-elle prise en compte?
Non

Lors de la réforme Fillon de 2003, le gouvernement s’était engagé à ce que la pénibilité au travail soit dorénavant prise en compte pour permettre un départ anticipé des travailleurs qui y sont le plus exposés.

Sept ans plus tard rien n’a changé, notamment à cause du patronat qui s’est acharné à torpiller la négociation interprofessionnelle qui y était consacrée. Seule une liste de critères objectifs servant à identifier et à quantifier la pénibilité a été élaborée sans que la question des contreparties débouche sur quoi que ce soit de concret. En bonne logique et ne serait-ce qu’eu égard à la valeur de la parole de l’État, le plan Woerth n’avait plus qu’à reprendre ces critères et à surmonter la volonté de blocage du MEDEF.
Il n’en sera rien. Le projet gouvernemental limite en effet le maintien du droit au départ à 60 ans pour les seuls salariés «dont l’état de santé est dégradé». Dit autrement, au lieu d’opter pour des critères reconnus de bonification en fonction des durées d’exposition à la pénibilité, le gouvernement choisit le cas par cas, qui était précisément la ligne défendue par le MEDEF et qui est la pratique actuelle.
Il faudra donc justifier d’un «taux d’incapacité égal ou supérieur à 20%, ayant donné lieu à l’attribution d’une rente pour maladie professionnelle ou pour accident du travail». Dans les faits, il s’agira de salariés qui, après une maladie professionnelle ou un accident du travail, souffrent encore de séquelles handicapantes. Par exemple, une rupture des muscles entourant l’épaule, la perte de deux phalanges ou d’un œil...
Tous les autres critères de la pénibilité (bruit, travail posté, horaires décalés, etc.) sont délibérément ignorés par le projet de réforme qui ne concernera, selon les propres chiffres du gouvernement –peu susceptible de les sous-évaluer–, que 10 000 personnes par an. Comble du cynisme, le plan Woerth prévoit même de faire financer ce dispositif par la branche accidents du travail/maladies professionnelles de la Sécurité sociale. Bref, concernant la prise en compte de la pénibilité, c’est le pire des scénarios qui est retenu par le projet de réforme, ce qui confirme que les promesses de François Fillon en 2003 n’engageaient que ceux qui ont fait semblant d’y croire.
Dans le même ordre d’idées, le plan Woerth maintient officiellement une autre disposition de la loi Fillon de 2003, présentée à l’époque comme une contrepartie favorable aux salariés: le départ anticipé des salariés ayant commencé à travailler tôt. Mais il relève également de deux ans l’âge auquel il sera possible de partir, ce qui vide de son maigre contenu un dispositif très sélectif. Ceux qui ont commencé à travailler à 14, 15, 16 ou 17 ans et qui auront cotisé 41 ans et demi devront donc attendre d’avoir 58, 59 ou 60 ans, au lieu de 56 ou 57 aujourd’hui. Le gouvernement estime qu’en 2015 90 000 salariés bénéficieront de cette mesure. Une évaluation donnée sans plus de détails, qui suscite de grandes réserves.
On ne voit en effet guère comment le durcissement des conditions pourrait augmenter l’accès à un dispositif. Il ne compte aujourd’hui que 25 000 bénéficiaires depuis que, en 2008 et 2009, le nombre de départs avant 60 ans pour carrière longue est tombé de 122 000 à 25 000. Au final, la prise en compte de la pénibilité et les départs anticipés apparaissent plus comme des alibis de pure propagande que comme des contreparties en faveur des travailleurs.

6 - Le projet gouvernemental est-il économiquement juste?
Non

Lors de la présentation de son plan à la presse, Éric Woerth a lourdement insisté sur le fait que les hauts revenus, les revenus du capital et les entreprises allaient devoir contribuer au financement de notre système de retraites. Il y a néanmoins peu de chances de les voir se retrouver sur la paille. Car, dans le détail, les mesures envisagées relèvent plus de la poudre aux yeux que de la justice sociale.

A été abandonnée l’idée de créer une tranche supplémentaire d’impôts pour les plus hauts revenus, mesure qui aurait pourtant permis d’allier efficacité et équité fiscale. En échange, le projet gouvernemental se contente d’augmenter de seulement 1% la tranche la plus élevée d’impôt sur le revenu, ce qui ne rapportera que 230 millions d’euros par an.
Quant aux stock-options et autres retraites chapeau dont sont friands les dirigeants des grandes entreprises, leur taxation sera symboliquement augmentée et ne dégagera que, au total, 180 millions d’euros. Total pour la catégorie des hauts revenus... 410 millions, soit dix fois moins que les mesures spécifiques à la fonction publique.
De plus, toutes les mesures visant à faire contribuer les revenus du capital s’élèveront en tout et pour tout à 1,08 milliard d’euros.
Reste les mesures destinées aux entreprises et notamment l’annualisation des allégements de cotisations sociales, censée rapporter 2 milliards d’euros. Sauf que cette somme risque de finir dans les caisses de l’État sans que les régimes de retraite n’en voient jamais la couleur. En effet, les allégements de cotisations sociales sont –en théorie– compensés par l’État (en clair, le contribuable), qui paye aux organismes sociaux les cotisations patronales. Si, demain, ces allégements diminuent de deux milliards, c’est donc l’État qui, au final, dépensera deux milliards de moins. Mais rien ne dit, et surtout pas Éric Woerth, que cette somme finira dans les caisses de l’assurance-vieillesse...
Toujours est-il que, même en totalisant tous les chiffres avancés par le gouvernement, on arrive péniblement à un total de 3,7 milliards d’euros par an pour ce qui est des hauts revenus, des revenus du capital et des entreprises. Dans le même temps, le relèvement des différents âges de départ représentera plus de 18 milliards, les mesures spécifiques à la fonction publique 4 milliards, soit plus de 22 milliards d’euros ponctionnés sur les salariés. En clair, les travailleurs supporteront plus de 85% des mesures nouvelles alors que l’ensemble des entreprises et les revenus du capital s’en tireront avec moins de 15% de l’effort demandé. Dit autrement, le projet gouvernemental prend 3,7 milliards aux riches et 22,6 milliards d’euros aux salariés.

7 - Le plan Woerth assure-t-il l’avenir des retraites?
Non

Comme pour les réformes Balladur de 1993 et Fillon de 2003, le projet gouvernemental promet qu’il remettra à l’équilibre, en 2018, les régimes de retraite. La der des ders des réformes en quelque sorte.

Mais en observant les propres chiffres fournis par Éric Woerth, il est évident que ce ne sera pas le cas.
Premièrement parce que les mesures prises se divisent en deux types: celles qui sont par définition pérennes et celles qui ne le sont pas. Dans la première catégorie, on trouve bien sûr la suppression de tous les acquis sociaux des salariés, du public comme du privé. Mais les mesures ciblées sur les hauts revenus, les revenus du capital et les entreprises relèvent évidemment de la seconde catégorie. Ainsi, qui peut prédire avec certitude si la –faible– majoration de 1% de l’impôt sur le revenu pour la tranche maximale existera toujours en 2018, ou si un nouveau bouclier fiscal n’y aura pas mis un terme? Qui peut savoir précisément combien rapportera la fiscalité sur les stock-options et les retraites chapeau, à supposer que les dirigeants d’entreprise n’aient pas, d’ici là, contourné le dispositif? Bref, toutes les projections de recettes sont à prendre avec des pincettes sauf, hélas, celles qui frapperont les salariés.
Deuxièmement, pour arriver à prévoir l’équilibre en 2018, le gouvernement se livre à des tripatouillages comptables qui consistent, en substance, à transformer les dépenses en ressources. Sans parler du Fonds de réserve des retraites qui, au passage, se fait siphonner les 35 milliards d’euros qu’il détient. Ni vu ni connu.
Tous ces tours de passe-passe font que le plan Woerth, parce qu’il ne frappe avec certitude que les travailleurs, ne réduira qu’à moitié le déficit du système de retraite et que le risque est grand de se retrouver en 2020 avec un nouveau déficit de 100 milliards d’euros.
En fait, de par ses effets massifs et rapides, le projet de réforme vise un autre objectif. Il a aussi pour but de rassurer les marchés financiers sur la capacité de François Fillon et de Nicolas Sarkozy à prendre des mesures d’austérité, comme le font déjà d’autres pays occidentaux. Obsédé par le maintien de la note AAA décernée par les agences de notation, le gouvernement insère sa réforme des retraites dans sa politique de rigueur, ce qui lui permettra, au passage, de se rapprocher de l’engagement pris devant les instances européennes de revenir à 3% de déficit en 2013.
Là réside peut-être la réelle motivation du gouvernement et de son projet, qualifié par FO «d’injuste socialement et d’inefficace financièrement».

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